Tout ceci n’est qu’un spectacle…

1 mai 2016

Tout ceci n’est qu’un spectacle…

Samedi 30 avril 2016, Porte Dorée, 18h30.

 

Je sors du métro, je vais au théâtre avec une amie. Des voitures de police partout… Je commence à me sentir mal.

La dernière fois que je suis sortie de cette même bouche de métro c’était le 9 janvier 2015 dans l’après-midi. Et il y avait aussi la police, elle bloquait l’accès au boulevard des Maréchaux.

A ce moment là, j’avais levé la tête, j’ai vu un hélicoptère stationner.

Je n’avais pas de 3G j’étais au courant de rien, je continue avec mon plan de chômeuse…aller au Musée National de L’histoire de l’immigration que je ne connaissais pas et retourner à l’aquarium tropical, un de mes lieux préférés quand j’étais gamine.

Devant la fosse aux crocodiles, j’apprends ce qu’il se passe pas très loin, une prise d’otages…au bout de quelques temps, on nous évacue du musée…je me mets à courir vers le métro.

Tout ceci est la réalité.

 

Samedi 30 avril 2016 donc, je suis surprise de me sentir mal, c’est revenu comme ça, d’un coup, je m’y attendais pas. Je marche en direction du Musée, c’est là que j’ai rendez-vous avec ma pote. Je la vois à peine quand elle se plante devant moi, j’étais trop occupée à me demander «  mais il font quoi, là ces policiers » J’étais en train d’expérimenter une Madeleine de Proust au goût de l’angoisse.

 

On va voir la pièce Ticket, la version qui s’intitule  » Clandestine » présentée au Musée. Tu t’imagines une pièce de théâtre classique.

Un comédien vient nous chercher.Par la magie du spectacle, on devient des migrants

 

«  Je vous promets l’eldorado moi, La France, l’Angleterre !!! » On rit, c’est un peu cynique. Parce qu’ au début, t’es cynique.

« Ridicule, on se retrouve à payer pour « expérimenter » ce que c’est, genre les occidentaux qui veulent se donner des frayeurs…zut le comédien vient de me postillonner à la figure en disant «  si je te dis de te baisser, tu te baisses »..merde je suis en train de rire…faut que je regarde personne sinon je vais pas m’empêcher de rire, ça se fait pas pour les comédiens….on va rester combien de temps là à attendre accroupis qu’il vienne nous chercher ? …pourquoi je dois encore courir, avec mes talons ça craint ! »

 

Ensuite la bataille commence. Celle entre le spectacle et la réalité, entre le documentaire et la fiction entre le cœur et ta putain de raison.

 

Un comédien te prend ta carte d’identité. Tu te sens dépouillé.

Tu es enfermé dans un container, les bruits, les témoignages de migrants qui racontent leur histoire, des enregistrements… Celui de Bernard Maris, tué le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo. Il parle des frontières.

 

C’est le noir à l’intérieur.

 

Une comédienne femme apparaît, c’est la clandestine du titre. Le comédien qui joue le chauffeur-passeur, rentre, sort. Ce sont les seules lumières extérieures que l’on verra, celles de cette porte qui s’ouvre pour laisser rentrer un connard, enfin le comédien qui joue le connard.

 

Puis il se passe quelque chose dans le spectacle qui te pousse dans tes retranchements.

C’est la première bataille intérieure.

Si tu fais quelque chose, tu interromps le spectacle. Si tu ne fais quand même rien, tu te sens sale…parce que tu as l’impression de ne plus être humaine.

 

Qu’est ce que j’aurais fait si j’avais été dans cette situation ? Comment font-ils dans cette situation ? Le but c’est de rester humain toute sa vie ou d’arriver à bon port, de survivre, de ne pas faire de vagues pour arriver plus vite ? Et se dire ça, c’est pas humain par hasard, quand tu fuis l’enfer ?

Une sale angoisse s’empare de toi, ça c’est la deuxième bataille. Elle prend toute la place, elle se contracte sur les bords. Le cœur devient tout petit.

Dis toi que ce n’est qu’un spectacle, répète-toi que ce n’est qu’un spectacle…

A La fin c’est presque intenable…je me bouche les oreilles pour ne plus rien entendre mais le cœur continue à se rétrécir, l’angoisse grandit et la douleur de ses contractions s’intensifie…elles se mettent à faire trop de bruit.

 

Puis la porte s’ouvre, le rayon de lumière entre dans ce container noir. Ça fait mal aux yeux…on sort, les contractions prennent un peu moins de place mais l’angoisse est toujours là.

On récupère nos cartes d’identité, tout ceci n’était qu’un spectacle.

On salue les comédiens, le cœur regrandit un peu.

 

On retrouve les comédiens pour un temps d’échange et pour faire retomber la pression. Tout ceci n’est qu’un spectacle.

 

Pendant que l’angoisse essaye de partir, je repense à un dessin. Il est exposé au Musée, dans la collection permanente. Je l’avais vu la dernière fois que j’étais venue, le 9 janvier 2015 donc. Il est de Wolinski, tué avec Bernard Maris le 7 janvier 2015.

Capture d’écran 2016-05-01 à 19.37.32

 

 

On est le 30 avril 2016, et quelques jours avant on a appris qu’un bateau de 500 migrants a coulé en Méditerranée.

On est le 30 avril 2016 et quelques jours avant, j’ai lu cet article, un billet pour Lesbos.

 

https://making-of.afp.com/un-billet-pour-lesbos

 

« Le truc, avec l’histoire des réfugiés, c’est qu’elle vous force à vous remettre en question vous-même. J’étais et je reste un pro-européen convaincu. Mais ce n’est pas de cette Europe-là que je veux. Ce n’est pas une Europe solidaire. »

Allez voir Ticket. Tout ceci est bien trop réel.

 

Ticket, un spectacle-documentaire du Collectif Bonheur Intérieur Brut, jusqu’au 21 mai au Musée National de l’Histoire de l’immigration.

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires

Tatie Danièle
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Ouh la la, merci pour ce superbe article ! Très vivant, très humain ! Je suis arrivée sur ton blog un peu par hasard et j'ai été prise par ton récit. Il donne vraiment envie d'aller voir ce spectacle.

Multicolorisa
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Merci beaucoup !!! Cela venait du coeur, je suis en train de voir le tien, il est très cool aussi !